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Restauration Métaphysique
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19 juillet 2007

17. Le drame de la devise républicaine française : liberté, égalité, fraternité

Il y a dans la devise républicaine tout le drame de la république française,  tout le drame de la France depuis la révolution française et peut être tout le drame du monde moderne.

Liberté, égalité et fraternité sont les trois têtes de l’hydre de la république, dont les deux premières sont enragées tandis que la troisième est amorphe.

La liberté veut se distinguer, se différencier, se distancier, s’émanciper, se séparer ; elle veut s’élever, surplomber, s’extirper de l’horizon; elle est principe mâle, la mâle liberté. Elle se grise de sa différence. Elle s’exclame : « Moi, je veux. Je fais ce que je veux».

L’égalité veut tout mêler, tout confondre, tout conformer. Elle veut tout niveler, aplanir l’horizon, atteindre l’indifférenciation. Elle est principe femelle, la femelle égalité. Et pourtant, elle met tout en guerre car elle a en haine les différences et les hiérarchies ; elle les nie - même les plus naturelles. Elle ne voit pas les choses comme elles sont. Elle crie : « Nous vous nouons. Nul ne vaut mieux que moi ».

La liberté est une source intarissable de différence, et l’égalité veut abolir la différence, car la différence constate l’existence d’autre chose, et l’égalité veut le même, le semblable, l’identique. Au fond, l’égalité veut l’uniformité et la liberté c’est l’autre. L’égalité est despotique, l’égalité est totalitaire. La liberté est anarchique, la liberté est libertaire.

Alors la liberté et l’égalité se jettent avec rage l’une contre l’autre et s’affrontent. La lutte s’engage entre les « libres-différents » et les « égaux-identiques ». Les premiers marchent sur les seconds et  leur passent sur le corps. Les seconds veulent enchaîner les premiers et les soumettre.

Et la fraternité ? Historiquement, sa tête a poussé sur l’hydre un peu plus tard[1] mais elle est en catatonie. Car il ne s’agit pas ici de la vraie fraternité. Il s’agit de la fraternité républicaine, de la fraternité révolutionnaire qui a pris naissance dans le parricide ; les frères ont voulu se libérer de l’autorité du père et prendre sa place, devenir son égal. Joseph de Maistre disait ainsi : « En coupant la tête au roi, la Révolution a coupé la tête à tous chefs de famille. » C’est donc une fraternité parricide, décapitée, coupée de la sève paternelle ; le lien filial est rompu.

Dans la Déclaration des droits et devoirs du citoyen figurant dans la constitution de 1795, les révolutionnaires se sont efforcés de définir la fraternité sur un mode purement horizontal : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fit ; faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en recevoir [2]». 

Comment les révolutionnaires ont-ils pu concevoir l’inconcevable, une fratrie sans père, une fraternité pure de tout lien filial ? Les révolutionnaires ont oublié que pour être frère il faut avoir un père commun, et que l’unité se fait toujours par le haut, par « quelqu’un au-dessus », par la sortie de l’horizontalité absolue et l’avènement d’une verticalité créatrice d’un ordre. Sans verticalité, sans transcendance, point d’ordre. Comment pourrions nous vivre autrement ?

Dès lors, cette fraternité parricide est incapable de maîtriser la férocité de la liberté et de l’égalité. La liberté passe à côté de la fraternité en l’ignorant ; celle-ci l’indiffère, et elle ne veut pas qu’on l’oblige. L’égalité au contraire agresse la fraternité ; elle s’acharne contre elle car elle la juge responsable du germe de la différence, de l’altérité, ainsi que des affres de la liberté :  « Tout cela est de ta faute, si nous étions tous des clones, tout cela n’arriverait pas. D’où provient qu’il y a de l’autre, irréductible ? Tu dis que nous sommes de la même famille mais la liberté m’écrase ! La liberté dit : « je suis unique ! je mérite des privilèges ! » Et tu ne réagis pas. »

Alors la liberté et l’égalité commettent perpétuellement le fratricide, l’une sans l’autre, l’une avec l’autre, l’une contre l’autre. Tels deux visages de Caïn, l’égalité dit : « Allons au champs  » ; tandis que la liberté dit : « Suis-je le gardien de mon frère ?[3] ». Et la fraternité est sacrifiée.

S’il s’agissait de la vraie fraternité - celle unie par le père, celle qui par conséquent se vit dans une famille- c’est elle qui dévorerait la liberté et l’égalité : a-t-on besoin d’être libre entre frères ? A-t-on besoin d’être égaux entre frères ? Dans une famille, on ne se pose pas ces questions ; elles n’ont pas de sens : chacun est à sa place, respecté, aimé pour ce qu’il est. La fraternité porte en elle l’égalité : nous sommes les enfants d’un même père, nous appartenons à la même famille[4]. Les inégalités naturelles sont dépassées. La fraternité est porte en elle la liberté : la famille nous rend libre car elle veut notre bien.

Et que devient l’homme dans tout cela ? Sevré, possédé par ces passions, l’homme se replie sur lui-même ; il s’isole, il se réduit à n’être qu’un individu, dont la liberté exalte son génie et l’égalité flatte sa médiocrité. Tocqueville a bien pressenti dans la Démocratie en Amérique, la pente naturelle de cette nouvelle société : « dans les siècles d’égalité, chaque homme cherchait en lui-même ses croyances (…) il tourne tous ses sentiments vers lui seul. »

La révolution française a déclenché un tsunami de liberté et l’égalité qui continue sa course à travers la planète et qui renverse sur son passage toutes les sociétés humaines (communautés naturelles, institutions) et s’efforce de les refondre sur la base d’une association d’atomes-individus libres et égaux. La liberté et l’égalité font « table rase ».

En réalité, la boîte de Pandore des idées pures avait été ouverte avant la révolution. Selon Tocqueville (1856), sont nées et se sont développées en France au 18ème siècle « deux passions principales, qui n’ont point été contemporaines et n’ont pas toujours tendu au même but.  L’une, plus profonde et venant de plus loin, est la haine violente et inextinguible de l’inégalité. (…) L’autre plus récente et moins enracinée, les portait à vouloir vivre non seulement égaux, mais libres. (…)

A l’entrée de la Révolution, elles se rencontrent ; elles se mêlent alors et se confondent un moment, s’échauffent l’une l’autre dans le contact, et enflamment enfin à la fois tout le cœur de la France.(…)[5] » 

Le diptyque Liberté-égalité fut notamment théorisé par Rousseau dans le Contrat Social, Livre II, chapitre 11 : « Si l’on recherche en quoi consiste précisément le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout système de législation, on trouvera qu’il se réduit à ces deux objets principaux, la liberté et l’égalité. La liberté, parce que toute dépendance particulière est autant de force ôtée au corps de l’Etat ; l’égalité, parce que la liberté ne peut subsister sans elle. »

Tocqueville est l’un des premiers auteurs à avoir insisté sur l’antagonisme entre la liberté et l’égalité : « Alors les Français furent assez fiers de leur cause et d’eux-mêmes pour croire qu’ils pouvaient être égaux dans la liberté.[6] ». Jean-Jacques Chevalier (1993) résume ainsi la réflexion tocquevillienne: « le problème capital [selon Tocqueville] de la science politique à venir se pose dans les termes suivants : comment sauver la liberté, gage de la dignité et de la qualité humaines, dans le cadre de la démocratie inéluctable ?[7] »

Ainsi, comment dans une société où les hommes tendent à devenir de plus en plus égaux, conserver la liberté et ne pas tomber dans le despotisme ? Il observe que dans les régimes démocratiques l’égalité domine sur la liberté et devient liberticide ; et la tendance est au nivellement généralisé. Il se demande avec angoisse comment défendre la liberté dans les siècles démocratiques (ou l’état de la société se caractérise par l’égalité des conditions). La question posée par Tocqueville de la compatibilité entre l’égalité et liberté est celle de la conciliation de l’idéal démocratique et de l’idéal libéral. Tocqueville insiste surtout sur le renversement de la liberté par l’égalité dans une société démocratique, car « les hommes montrent un amour plus ardent pour l’égalité que pour la liberté. » Ils sont même prêts à y sacrifier leur liberté.

L’absolutisation de la liberté et de l’égalité ont donné naissance aux deux systèmes idéologiques qui dominent la pensée moderne, respectivement le libéralisme et le socialisme[8].

Trois passions à maîtriser : La liberté obéissante, L’égalité hiérarchique, la fraternité filiale.

Or, la liberté et l’égalité ne peuvent être livrées à elles-mêmes ; elles ont besoin d’être éduquées. Telles des plantes grimpantes, chacune de ces passions a besoin d’un tuteur pour s’élever. Le tuteur de la liberté est l’obéissance ; celui de l’égalité est la hiérarchie ; celui de la fraternité est la piété filiale[9].

Si l’âme humaine a besoin de liberté, elle a aussi besoin d’adhérer, de consentir, de souscrire, d’acquiescer, et de se soumettre. En un mot, d’obéir. Alors, la liberté est réfrénée.

Si l’âme humaine a besoin d’égalité, elle a aussi besoin de trouver sa place dans l’échelle sociale, de se subordonner, de révérer, de vénérer, de se vouer et de se dévouer. En un mot, de hiérarchie. Alors, l’égalité est mise en ordre.

Si l’âme humaine a besoin de frères, elle gémit de n’avoir pas de parents car elle a besoin d’amour et d’autorité. Alors, la fraternité se fait plus humaine.

La révolution a voulu libérer ces passions de leur tuteur naturel. Elle a porté atteinte en profondeur à l’obéissance, la hiérarchie et l’autorité paternelle.

Trois passions à ordonner à une fin : La liberté au bien, l’égalité à la justice, la fraternité au Père.

Mais ces tuteurs ne suffisent pas ; ils ne sont que des moyens non des fins. Car toute passion doit être ordonnée à une fin selon sa nature : la liberté ordonnée au bien, l’égalité ordonnée à la justice ; la fraternité ordonnée au père. Alors, chacune de ces passions, animée d’un élan vertical, peut s’élever au-dessus d’elle-même ; chacune peut sortir de son animalité. Elles peuvent tout concevoir, tout oser, tout entreprendre.

Notre devise républicaine souffre par conséquent depuis l’origine d’un vice de conception. Elle est bancale[10], porteuse d’instabilité et d’anomie sociales, incapable de fonder un ordre politique viable.

Si une certaine harmonie sociale perdure, ce n’est pas grâce aux valeurs du triptyque républicain mais malgré celles-ci. Ce sont les liens naturels (la famille, le travail, la patrie, la religion) qui maintiennent le tissu social ; ces liens subissent jour après jour une lente érosion. L’individualisme et l’Etatisme poursuive leur travail de sape des communautés naturelles que la solidarité d’Etat ne pourra jamais refonder.


[1] Dans un discours sur l'organisation des gardes nationales, Robespierre préconise, en décembre 1790, que les mots "Le Peuple Français" et "Liberté, Égalité, Fraternité" soient inscrits sur les uniformes et sur les drapeaux, mais son projet n'est pas adopté.
En 1791, un membre du club des Cordeliers propose cette devise qui est adoptée, en avril 1792, au cours de la fête de la liberté. Elle sera inscrite sur toutes les façades des édifices publics, en 1793, sur les ordres du maire de Paris, pour rappeler à la population les principes fondamentaux de la Révolution. Rapidement imités par des autres villes, les habitants peignent sur la façade de leurs maisons les mots suivants : "unité, indivisibilité de la République ; liberté, égalité ou la mort". Mais ils sont bientôt invités à effacer la dernière partie de la formule, trop associée à la Terreur. Lorsque est rédigée la constitution de 1848, la devise " Liberté, Egalité, Fraternité " est définie comme un " principe " de la République.

[2] Cette définition emprunte d’ailleurs à la Règle d’or de Jésus :« Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faîtes-le vous-même pour eux : voilà la loi et les Prophètes. » (Matthieu, 7, 12). « Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous faites-le pareillement. » (Luc, 6, 31).

[3] Voir Genèse, chapitre 4, où Caïn tue son frère Abel.

[4] L’égalité évangélique est celle de l’égalité des enfants de Dieu.

[5] Alexis de Tocqueville (1856), L’Ancien Régime et la Révolution, Livre III, Chapitre 8.

[6] Alexis de Tocqueville (1856), op.cit. D’autres auteurs ont relevé la contradiction dans les passions françaises. Le Général de Gaulle, par exemple, dans La France et son armée (1938) affirmait ainsi : « le désir du privilège et le goût de l’égalité, passions dominantes et contradictoires des Français de toute époque (…). »

[7] Jean-Jacques Chevalier (1993), Histoire des idées politiques, Grande Bibliothèque Payot, p.773.

[8]  Lénine disait ainsi pour manifester une désaffection cynique pour la liberté: « La liberté, pour quoi faire ? » Cité par George Bernanos, dans La liberté pour quoi faire ? (1953)

[9] Simone Weil, dans L’enracinement (1949), s’efforce de dresser une liste des besoins de l’âme parmi lesquels elle inclut la liberté et l’obéissance, l’égalité et la hiérarchie. Selon elle, « les besoins [de l’âme] s’ordonnent par couples de contraires, et doivent se combiner en un équilibre. »  (Cf. Ière partie : Les besoins de l’âme).

[10] Margaret Thatcher interrogée à propos de la devise de la République française disait: «  Je crois qu’on a oublié les devoirs et obligations dans cette devise. » Cité dans NRH, n°31, Juillet-Août 2007.

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