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Restauration Métaphysique
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19 décembre 2007

21. Anatomie de l’égalité (4)

La question de la relation entre inégalité naturelle et inégalité sociale.

Au début du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1753), Rousseau conçoit dans l’espèce humaine deux sortes d’inégalité :

-         l’inégalité naturelle ou physique, « parce qu’elle est établie par la nature, et qui consiste dans la différence des âges, de la santé, des forces du corps, et des qualités de l’esprit, ou de l’âme (…) »

-         l’inégalité morale, ou politique « parce qu’elle dépend d’une sorte de convention, et qu’elle est établie, ou du moins autorisée par le consentement des peuples. Celle-ci consiste dans les différents privilèges dont quelques-uns jouissent, au préjudice des autres, comme d’être plus riches, plus honorés, plus puissants qu’eux, ou même de s’en faire obéir.[1]»

Rousseau n’interroge pas l’inégalité naturelle car effectivement, comme il l’affirme, « la réponse se trouverait énoncée dans la simple définition du mot. »

Mais il décide également de mettre de côté l’examen du lien entre inégalité naturelle et inégalité sociale. « On peut encore moins chercher s’il y aurait point quelque liaison essentielle entre les deux inégalités ; car ce serait demander, en d’autres termes, si ceux qui commandent valent nécessairement mieux que ceux qui obéissent et si la force du corps ou de l’esprit, la sagesse ou la vertu se trouvent toujours dans les mêmes individus, en proportion de la puissance, ou de la richesse : question bonne peut-être à agiter entre des esclaves entendus de leurs maîtres, mais qui ne convient pas à des hommes raisonnables et libres, qui cherchent la vérité. »

Rousseau ferme la porte à la discussion avec deux arguments.

Premièrement, cette question reviendrait à se demander si ceux qui commandent valent nécessairement mieux que ceux qui obéissent.

Deuxièmement, cette question reviendrait à rechercher un rapport proportionnel entre puissance et richesse d’un côté et qualités physiques et morales de l’autre.

Ce rapport proportionnel, Rousseau l’exclut : il affirme péremptoirement sans autre explication qu’il s’agit d’une question qui «ne  convient pas à des hommes raisonnables et libres qui cherchent la vérité. »

Or la question que décide d’évacuer Rousseau est la question la plus essentielle et la plus naturelle des questions, celle qui vient instinctivement à l’esprit lorsque l’on se trouve confronté à une quelconque relation de pouvoir, un quelconque écart de richesse. La question de ce rapport de proportion est une question de justice. Celui qui commande est-il meilleur que celui qui obéit ? Quelle est la légitimité de celui qui commande ? Le riche est-il meilleur que le pauvre ? Mérite-t-il de l’être ? A-t-il gagné honorablement son bien ? Et le pauvre, qu’a-t-il fait ou oublié de faire pour en arriver là ? Dans les deux cas –rapport  de puissance ou écart de richesse- chacun est-il bien à sa place ? Leur situation respective est-elle juste ? Finalement, l’inégalité sociale trouve-t-elle des fondements et des justifications dans l’inégalité naturelle?

Ces deux inégalités présentent un lien, de toute évidence, qui n’est certainement pas nécessaire ou systématique mais qu’il faut bien essayer de comprendre pour en préciser la portée. Ce n’est pourtant pas l’avis de Rousseau, ce n’est pas l’objet de son Discours. Il élude donc la question la plus essentielle.

Son objet n’est d’ailleurs pas très clairement exprimé : il s’agit « de marquer dans le progrès des choses le moment où le droit succédant à la violence, la nature fut soumise à la loi ; d’expliquer par quel enchaînement de prodiges le fort put se résoudre à servir le faible, et le peuple à acheter un repos en idée, au prix d’une félicité réelle. (p168)» Comprendra qui peut. Dans la Préface, Rousseau est plus clair sur ses intentions : connaître la source de l’inégalité parmi les hommes.

Pour Rousseau, la religion nous enseigne que Dieu a sorti l’homme de l’état de nature et a voulu que les hommes soient inégaux. Il s’efforce alors d’imaginer « ce qu’aurait pu devenir le genre humain, s’il fut resté abandonné à lui-même. » Ce projet laisse songeur. En effet, comment étaient les hommes dans l’état de nature : égaux ou inégaux ? Inégaux sans doute. Pour Rousseau c’est leur « sortie ( ?)» de l’état nature - voulue par Dieu – qui les rend inégaux. Cela signifie-t-il que Dieu aurait créé les hommes naturellement plutôt égaux, puis les aurait poussés à entrer en société, laquelle serait responsable de l’essentiel de l’inégalité !?

Rousseau se fait fabuliste ; il se targue de raconter la vie de l’espèce humaine à partir de l’observation de la nature: « C’est pour ainsi dire la vie de ton espèce que je vais décrire(p.169). »Or, Rousseau part du postulat que l’homme a bien changé depuis qu’il a quitté l’état de nature.  Dès lors, comment compte-t-il analyser un état qui a disparu ? A moins que celui-ci subsiste de manière pratiquement authentique dans certaines contrées. Mais Rousseau s’est-il jamais rendu auprès de ces hommes sauvages qui vivent encore au plus près de l’état naturel ? A-t-il fait œuvre d’anthropologue ou de sociologue en allant visiter ces hommes naturels en Amérique, aux Caraïbes, ou en Afrique ? Non. Il s’est contenté de les rencontrer décrits dans des livres[2].


[1] Notons ici que Rousseau, n’envisage l’inégalité de conditions que comme un jeu à somme nul : nul ne gagne ce qu’un autre ne perd. L’inégalité sociale s’opère semble-t-il toujours et exclusivement au détriment de ceux qui se trouvent réduit dans une position inférieure ou défavorisée.

[2] Bien que Rousseau affirme par ailleurs que les livres sont « menteurs (p.169)»

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