11. L’intelligence ne peut saisir que le discontinu
L’intelligence ne peut concevoir le devenir. Comme le souligne Bergson dans l’Evolution créatrice, « L’intelligence ne se représente clairement que le discontinu (Chap. II, p155). » Elle ne se représente clairement que l’immobile et l’inerte. Elle est statique par nature. « C’est de l’immobilité qu’elle part toujours, comme si c’était la réalité ultime ou l’élément ; quand elle veut se représenter le mouvement, elle le reconstruit avec des immobilités qu’elle juxtapose. (p.156)» Elle pense le mouvant par l’immobile, par des états successifs immobiles.
Donc pour Bergson, l’intelligence ne peut saisir le devenir, c’est impossible, et c’est une illusion de vouloir « penser l’instable par l’intermédiaire du stable, le mouvant par l’immobile (p .273)». La pensée ne conçoit que l’immobile, le discontinu, l’inerte. L’intelligence saisit une série d’instantanés qui mis bout à bout donne l’impression de saisir le mouvant, le devenir. « Mais préoccupée avant tout des nécessités de l’action, l’intelligence, comme les sens, se borne à prendre de loin en loin sur le devenir de la matière, des vues instantanées, et par là même, immobiles. (…) Nous n’apercevons du devenir que des états, de la durée que des instants, et, même quand nous parlons de durée et de devenir, c’est à autre chose que nous pensons. » (Chap IV, p.273)
Le mécanisme de connaissance est ainsi de nature cinématographique :
(…) notre perception s’arrange pour solidifier en images discontinues la continuité fluide du réel. (p.302) » « Qu’il s’agisse de penser le devenir, ou de l’exprimer, ou même de le percevoir, nous ne faisons guère autre chose qu’actionner une espèce de cinématographe intérieur. (p.305)»
Ces immobilités permettent à l’intelligence d’aller au-delà du mouvant et du devenir pour rejoindre l’être, pour saisir l’être. Et il semble que ce soit le procédé privilégié par lequel l’homme peut saisir l’être, du moins c’est celui de son intelligence. L’intelligence ne se sent jamais plus à l’aise que face à des solides inertes. « Nous ne sommes à notre aise que dans le discontinu, dans l’immobile, dans le mort. L’intelligence est caractérisée par une incompréhension naturelle de la vie. (p. 166)»
Cette faculté de l’intelligence permet à l’homme de distinguer, de séparer, et de fait, d’organiser, d’ordonner, et de hiérarchiser. Ainsi la pensée est donc par essence verticale. L’intelligence est verticale. L’intelligence cherche à saisir quelque chose au-delà du devenir : et ce quelque chose qu’elle découvre, c’est l’être. Le devenir est par essence continu et horizontale.