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Restauration Métaphysique
Restauration Métaphysique
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15 juin 2007

14. L’intelligence ne peut saisir que le discontinu (2)

Suite aux commentaires et objections de mon ami Edouard, nous poursuivons notre réflexion sur la nature de l’intelligence humaine entamée dans notre chronique n°11.

D’après Edouard, notre conception est trop simpliste et il avance trois arguments principaux :

  1. La philosophie d’Héraclite fonde une philosophie non cinématographique, une philosophie du devenir donc

  2. En mathématique, il est possible d’appréhender la dynamique comme l’illustre la notion de dérivée

  3. En sciences sociales, la loi conditionnelle de Weber. Telle action interviendra dans la mesure où telle autre se produit.

Nous commencerons par le point (2), celui des mathématiques. Je ne suis pas mathématicien, aussi serait-il bon qu’un mathématicien entre dans le débat pour nous mettre d’accord. Selon ma compréhension de la dérivée, celle-ci me semble au contraire apporter de l’eau à mon moulin car elle illustre justement le caractère discret de l’appréhension du mouvement. La dérivée opère une simplification pour connaître l’évolution d’une fonction f lorsque sa variable x change en un point. Par exemple,  l’évolution d’une fonction de second ordre est rendue par une fonction linéaire de 1er ordre. De même, l’évolution d’une fonction de 1er ordre :y = ax + b est estimée par la constante a. Ainsi une courbe est estimée par une succession de tangentes (de droite qui suivent la direction de la courbe). La dérivée est une réduction discrète de l’évolution d’une fonction. Elle confirme bien que l’esprit humain est obligé pour connaître l’évolution de décomposer, de réduire, de ramener à du discret, du discontinu.

Sur un mode plus opératoire, lorsque la physique veut appréhender la matière au niveau des particules atomiques, elle utilise la mécanique quantique, qui n’est autre qu’une description statistique en termes de probabilité (c'est une théorie statistique et rien d'autre) et donc une description discrète, discontinue.

On rencontre ici les limites du savoir humain.

Concernant l’argument de « la loi conditionnelle » de Weber (2). Je ne suis pas familier avec cette notion. Je ne peux donc me fier qu’à ce qu’en dit Edouard. Or, ce qu’il décrit, « Telle action interviendra dans la mesure où telle autre se produit. », ainsi que son exemple de géopolitique me semble relever de l’analyse rationnelle suivant le principe de causalité, qui nécessite bien de fixer un état initial et d’envisager le passage à un état final ; ces deux états étant relativement figés comme deux images au cours de l’analyse causale qui vise ici à l’anticipation et à la prévision.

Passons à l’argument philosophique (1). Il faut tout d’abord admettre qu’il est difficile de saisir la pensée d’Héraclite car (1) le matériau doctrinal disponible est assez maigre, et (2) le style de l’auteur est obscur.

(1) Ainsi, on ne sait pratiquement rien de son œuvre, pas plus que de sa vie du reste. La seule chose dont nous disposions ce sont des Fragments sous forme de citations, de sentences : quelques phrases en somme! 137 fragments de quelques lignes ! On dispose en outre de citations dans l’œuvre d’autres auteurs et de quelques petites synthèses de la pensée héraclitienne par quelques doxographes. Diogène Laërce, le plus important d’entre eux, témoigne de la pensée d’Héraclite près de huit siècles après sa mort et avec à sa disposition un matériau dont nous ne savons rien.

(2) A cela s’ajoute un style mystérieux, qui lui ont valu les surnoms d’Obscur et d’Enigmatique. Socrate, Platon et Aristote dénonçaient la difficulté qu’il y a à le lire. De même, plus tard Plotin s’en plaignit : « Il semble enseigner au moyen d’images, sans avoir le souci de nous rendre claire sa doctrine ; peut être pense-t-il qu’il nous faut chercher par nous-mêmes, tout comme il a cherché et trouvé par lui-même. [1]». Le style d’Héraclite est poétique et mystérieux. Il utilise beaucoup de figures de rhétoriques (métaphores, chiasmes, métonymies).

Dès lors, comprendre la pensée d’Héraclite constitue une véritable gageure !

Ceci étant dit, nous essaierons très prochainement de réfléchir sur la pensée d’Héraclite.

Nous ferons à ce stade une première remarque. Notre propos, qui s’appuyait sur l’autorité de Bergson, visait à décrire le plus objectivement possible le fonctionnement de l’intelligence humaine, de la raison. Or Héraclite n’a pas décrit le fonctionnement de l’intelligence humaine ; la manière dont les hommes pensent objectivement le réel. Il a posé un regard nouveau sur le réel. Héraclite a élaboré un discours sur le réel qui énonce que « tout est en devenir », que « tout coule ». au même titre que le Bouddha avait porté un nouveau regard en affirmant que le monde est une illusion. Mais son discours est un discours sur le réel pas sur l’intelligence humaine.


[1] Traité 6 (IV,8),1,15-17

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Commentaires
E
Salut Perdican,<br /> <br /> Merci pour ta réponse. Je vais essayer de préciser mon idée sur ces trois points.<br /> <br /> 1/ D’accord sur Héraclite, notamment car les traces de sa pensée sont en effet bien rares et car il est souvent associé à une pensée « orientale » que l’on retrouverait notamment cher Bouddha qui n’est pas métaphysique et donc sort du champ traité ici.<br /> Il est cependant intéressant comme premier penseur connu du « tout coule ». Il montre donc que l’esprit est donc capable de concevoir la continuité, même s’il lui est difficile de la ressentir (une analogie serait l’infini).<br /> <br /> 2/ La définition d’une dérivée en mathématique est en effet la réduction d’un problème continu à une approche discrète, mais en physique son effet est de permettre de concevoir la continuité. <br /> Je prends un exemple en finance de marché. Admettons que sois partie d’un contrat dont la valeur est fonction de celle d’un actif financier sous jacent. Je vais entre autres m’intéresser au « gamma » de ce contrat, c'est-à-dire à la dérivée seconde de la valeur du contrat par rapport à la valeur de sous jacent. Si je m’applique à structurer mon contrat pour avoir un gamma positif, je sais qu’en cas d’accélération du changement de valeur de mon sous-jacent, je gagnerai de l’argent. Bref, je sais que je peux partir en week end tranquillement si le marché est très actif. Je n’ai pas alors réellement de vision statique (je ne conçois pas de valeur pour mon contrat tout au long du week end), mais ma conception dynamique est satisfaite.<br /> De la même façon, je sais que, en fonction des caractéristiques de mon contrat, il se pourra que la fonction de la valeur de ce contrat sur le prix du sous jacent ne soit pas dérivable. Il faudra alors que j’abandonne mon week end pour suivre exactement les évolutions du sous jacent, et je reviendrai alors à une conception discrète, photographique de la réalité.<br /> <br /> 3/ Le cas des sciences sociales est à mon avis le plus intéressant.<br /> Il s’agit bel et bien d’une simple relation de causalité impliquant un état initial et un état final si l’on a une vision historique. Pour reprendre l’exemple américain, nous savons aujourd’hui que le coût de la course aux armements a accéléré la chute du bloc de l’est dans les années 80. Une cause, un effet.<br /> <br /> Mais mettons nous dans la peau de R.Reagan à cette époque. Sa décision d’accélérer la course aux armements va-t-elle provoquer l’effondrement du bloc socialiste ou au contraire favoriser une guerre ? Une aide à l’Afghanistan va-t-elle entraîner l’URSS dans une guerre suicidaire ou au contraire redonner un sursaut de fierté nationale à la Russie, la conduisant à se débarrasser de la corruption qui la ronge et à redresser le drapeau rouge ?<br /> Impossible de prendre une décision sans avoir à l’esprit le fameux « paradoxe du politique » selon lequel les choix des décideurs conduisent souvent à des effets inverses de les intentions initiales.<br /> Devant ce paradoxe, la seule attitude est la pensée qui se sait dynamique (en politique, on appellerait cela du pragmatisme). Le décideur prend un faisceau de décisions qui semblent tendre dans la direction qu’il recherche, tout en sachant qu’il sera amené à évaluer régulièrement ces décisions, à les compléter, voire à revenir dessus.<br /> Plusieurs causes, plusieurs effets imbriqués possibles.<br /> Il faut noter que cette attitude, pour raisonnable qu’elle soit dans un monde complexe, contribue pour beaucoup à la désillusion vis-à-vis de la politique. L’homme politique obligé à une telle flexibilité sera accusé d’opportunisme en dictature ou de ne pas tenir ses promesses en démocratie.
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